Pourquoi il faut repolitiser le débat local

Compte-rendu conférence-débat organisée par Attac-Lille
le mercredi 5 avril 2017, MRES 23, rue Gosselet – Lille
autour de Fabien Desage,
chercheur en sciences politiques à Lille, et
auteur avec David Guéranger : La politique confisquée. Sociologie des réformes et des institutions intercommunales, Éditions du Croquant, 2011. Une fiche de lecture de l’ouvrage est proposée sur lectures.revues.org/.


Dans une salle comble dans le grand hall de la MRES, Fabien Desage commence son intervention avec l’actualité de la mise en examen du président de la MEL. L’affaire du Grand Stade de Lille, c’est le “Frankenstein” du consensus métropolitain. Il signale que c’est Éric Darques qui avait sorti cette affaire et non les élus en place rendus impuissants par des institutions locales dépolisées. Tous les citoyens finissent par se rendre compte que les intercommunalités comme la MEL n’ont pas de garde fou, pas de contre pouvoir. Tous les partis sont représentés dans les postes de vice-présidence, et tout le monde veille à l’entente cordiale… au détriment de l’intérêt général ?

La politique confisquée
par les élus locaux

L’actualité du Grand Stade résonne particulièrement avec la démonstration de Fabien Desage développée dans son ouvrage “La politique confisquée”. Oui, la politique est confisquée par les élus locaux et surtout les maires. La décentralisation en France (ici sous entendu au niveau des communes et intercommunalités) s’est construite à travers des réformes dépolitisées et dépolitisantes. La distance à la démocratie est devenue un élément structurel de l’intercommunalité. Au départ, c’était une volonté de l’État de regrouper les communes, mais ensuite c’est bien les élus locaux qui l’ont voulu. De plus, les parlementaires sont aussi des élus locaux et donc vont dans le sens des élus locaux.

Dépolitisation ?

La dépolitisation a été progressive : on a laissé entendre que “le local c’est technique” suivi souvent d’exemples comme l’eau, les trottoirs, les transports… On a voulu faire croire qu’il ne devrait pas y avoir de débat politique pour gérer la technique. Or, les interventions qui ont suivi la conférence de Fabien Desage l’ont bien montré, la gestion de l’eau en régie, le choix des transports publics gratuits, la place de la voiture dans l’espace public… ce sont aussi des questions politiques !

L’exemple des
conseils métropolitains

La dépolitisation, ça ressemble à quoi ? Regardez les conseils métropolitains, tout le monde s’ennuie tellement il ne se passe rien. On prépare à l’avance la cérémonie : tout est décidé à huis-clos en petit bureau même les interventions des “contradicteurs” sont connus à l’avance. Les élus votent des millions d’euros de budget sans que personne ne sourcille. La rhétorique des “territoires” a remplacé celle des habitants pour mieux masquer les intérêts contradictoires à l’œuvre. Or, selon Fabien Desage, si on ne repolise pas l’échelon local, on ne fera rien de ces institutions, et on n’arrivera pas à réduire les inégalités socio-spatiales.

Et au niveau communal

La commune n’est pas préservée de la crise politique. Le consensus métropolitain tient sur le pouvoir de veto des maires. L’absence de souveraineté à l’échelle de l’agglomération limite toute les tentatives de régulation et de péréquation métropolitaines. Par exemple, l’extension urbaine n’a pas été limitée par l’intercommunalité mais au contraire, amplifiée. Pourquoi ? Parce que chaque maire vient négocier son “bout de carotte” auprès de l’instance intercommunale. Le nouveau Scot ? Une blague adoptée à l’unanimité.

Le “corporatisme
des élus locaux”

Tout ceci contribue à la production d’un “corporatisme d’élus locaux”, un “entre soi” qui bloque tout écart au consensus et pire qui bloque même la capacité des élus minoritaires d’être des contre-pouvoirs. La “politisation” se (re)fait à l’extérieur de l’enceinte “politique” par la judiciarisation des contentieux. À titre d’exemple, Fabien Desage cite le projet de contournement autoroutier au sud de Lille, passant au-dessus des champs captants, zone où la métropole puise 35 % de son alimentation en eau potable. Alors que le conseil métropolitain avait voté plusieurs fois à l’unanimité, c’est la plainte d’une association qui a permis d’annuler le projet et le schéma directeur (le tribunal administratif n’a pas hésité une seconde). Comme pour le Grand Stade, les élus passent complètement à côté du lourd impact de certains choix d’aménagement… et il faut que ce soit des citoyens qui les réveillent pour leur faire prendre conscience des conséquences !

Sortir de la
pensée dépolitisante

La conclusion de Fabien Desage revient sur le besoin de sortir d’une pensée dépolitisante du local. Il faut selon lui une critique démocratique de la décentralisation qui repose finalement sur une pensée pauvre.

Témoignages dans le public

Plusieurs interventions sont venus rebondir sur les propos du chercheur. D’abord le “Collectif eau secours” qui pointe la mauvaise gestion de l’eau dans la métropole (taux de fuite de 20%!). Ils posent le débat de la régie et font des propositions face à des décideurs qui ne connaissent pas le dossier… Ensuite le collectif « Fête la friche » qui s’intéresse aux 23 hectares de la friche Saint-Sauveur au cœur de Lille revient sur ses actions et préoccupations. Le Collectif va organiser prochainement un sommet citoyen populaire. Un chercheur est venu présenté une étude sur les transports en commun gratuits de Dunkerque, véritable “choix politique” que beaucoup d’agglomérations se refusent sous des pressions externes. Enfin, nous avons profité d’un retour d’expérience du mouvement Podemos (= nous pouvons) en Espagne. Le mouvement qui a gagné beaucoup de municipalités envisage la ville comme un rempart contre le libéralisme. À Barcelone, une entreprise municipale pour distribuer l’énergie a été créée. Il y a aussi une réflexion sur la mobilité qui veut changer « se déplace et consomme” en “reste et socialise » !

Des délibérations à la pelle

En tant que Le Collectif – tous acteurs de notre ville, Saint-André, nous avons également pris la parole pour présenter notre démarche et l’une de nos expériences particulièrement illustrative des propos de Fabien Desage. Souvenez-vous, la concertation sur le projet Muchaux qui s’est terminée le 17 décembre dont le bilan a été voté à l’unanimité le 18 décembre … Après un contact avec la MEL, on nous avait expliqué que les délibérations étaient préparées 2 mois en avance. Le bilan de la concertation était écrit avant que la concertation ne commence. Et puis, on avait cherché à comprendre le pourquoi du vote à l’unanimité. Les élus contactés ont avoué ne pas avoir vu la délibération : ils reçoivent 400 pages et votent les délibérations par bloc de 25. La seule façon d’interférer dans le processus pour un citoyen serait d’obtenir le projet de délibération… que précisément on nous interdit d’avoir !

Indispensable poil à gratter

Au final, cette conférence fait beaucoup de bien car elle remotive à aller de l’avant. On peut agir via les élus seulement si les citoyens jouent leur rôle de poil à gratter. Fabien Desage illustre : “Sans les grandes grèves, Blum aurait sûrement été Hollande… et s’il y a avait eu de grandes mobilisations, Hollande aurait peut-être été Blum”. Au fait c’est quoi un citoyen ? Justement « un citoyen c’est celui ou celle qui pense que tout le regarde … »

Soyons citoyens (bordel) !